« Chez les jeunes, la santé psychique et la consommation de substances sont étroitement liées »

À l’Université de Berne, Xenia Anna Häfeli étudie le lien entre la santé psychique et la consommation de substances chez les jeunes. Elle explique pourquoi la consommation est souvent intense chez les adolescents et les jeunes adultes, et quels troubles psychiques y sont fréquemment associés. La prévention doit intervenir tôt. Car jusqu’à 25 ans environ, le cerveau est en maturation : les substances influencent négativement le système de récompense et le contrôle à long terme de la consommation.

Xenia Häfeli
Xenia Anna Häfeli est doctorante à l’Université de Berne, au sein du département de psychologie clinique de l’enfance et de la jeunesse. Ses recherches portent sur les troubles psychiques et visent à perfectionner une approche de prévention dynamique et commune à différents troubles. © Luca Christen, 2022.

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La consommation de substances connaît un bond au début de la puberté. Pourquoi ?

Xenia Anna Häfeli: Les raisons sont multiples. Le développement du cerveau, les changements hormonaux et les influences sociales jouent un rôle. Pendant la puberté, le cerveau ne se développe pas de manière uniforme. Le système limbique, dont fait partie le système de récompense, se développe plus vite que le cortex préfrontal, responsable du contrôle des impulsions. Ce décalage explique pourquoi les adolescents agissent souvent de manière plus impulsive et plus risquée, en réfléchissant moins aux conséquences à long terme de leurs actes. C’est aussi une phase dans laquelle ils sont davantage en quête d’appartenance et d’identité. Les substances peuvent jouer un rôle dans les groupes de pairs, par exemple dans l’acceptation des membres ou pour signaler l’appartenance au groupe. L’influence des pairs, les médias et la disponibilité des substances entrent aussi en jeu.

À l’adolescence, la consommation est souvent plus intense que dans les autres phases de la vie. Pouvez-vous l’expliquer ?

Outre le développement du cerveau, des facteurs sociaux et émotionnels interviennent également. Les adolescents subissent souvent une pression émotionnelle et sociale, qui peut être due à l’école, aux relations amicales ou encore à la recherche de leur identité. Des études montrent que pour bon nombre d’entre eux, le recours aux substances est une stratégie pour faire face au stress, à l’anxiété sociale et aux défis émotionnels. Par ailleurs, les adolescents veulent être indépendants et décider par eux-mêmes. La consommation de substances peut être un moyen de démontrer cette indépendance, au mépris des risques. Lorsque l’initiation à une substance a lieu au début de la puberté, il peut en résulter une consommation plus forte par la suite.

Vous parlez aussi de « trouble lié à la consommation de substances ». Qu’entendez-vous exactement par là ?

Ce terme désigne un trouble psychique caractérisé par la consommation problématique de substances psychoactives telles que l’alcool, la nicotine, le cannabis ou d’autres drogues. Ce trouble, qui entraîne des limitations au quotidien, est diagnostiqué à l’aide de critères comme la perte de contrôle, le développement d’une tolérance, des symptômes de sevrage et des répercussions négatives sur la vie sociale, scolaire et professionnelle. Selon le nombre de critères remplis, il se répartit en trois niveaux : léger, moyen et grave. Il englobe tout un spectre d’usages problématiques, allant jusqu’à l’addiction.

Pourquoi les moins de 25 ans présentent-ils le risque le plus élevé de développer des troubles liés à la consommation de substances ?

Car durant cette phase de la vie, de nombreuses personnes testent des substances, et le passage d’une consommation occasionnelle à problématique s’opère facilement. Le cerveau est particulièrement vulnérable jusqu’au milieu de la vingtaine, parce qu’il est encore en maturation. Les substances peuvent donc avoir un impact profond sur le système de récompense et le contrôle à long terme de la consommation.

Plusieurs études montrent que les troubles psychiques et la consommation de substances vont souvent de pair. L’avez-vous aussi observé dans vos recherches ?

Nos recherches s’intéressent surtout au niveau subclinique des troubles psychiques, dans l’optique d’améliorer le repérage précoce et la prévention. Ce niveau comprend les symptômes et les manifestations qui se situent en dessous du seuil diagnostique d’un véritable trouble psychique. Les personnes concernées manifestent donc déjà des problèmes psychiques, mais ne remplissent pas tous les critères pour un diagnostic clinique conforme aux systèmes de classification usuels. Nos résultats suggèrent que les jeunes ayant des problèmes psychiques présentent déjà un risque plus élevé de consommation problématique que les autres. Les substances sont fréquemment utilisées pour soulager les symptômes, mais elles peuvent dans le même temps aggraver les problèmes psychiques ou en déclencher de nouveaux.

Certains troubles psychiques sont-ils associés particulièrement souvent à la consommation de substances ?

Oui. C’est surtout le cas des troubles anxieux, de la dépression, du TDAH et des troubles de stress post-traumatique. Les jeunes présentant un TDAH, par exemple, commencent souvent à consommer tôt, potentiellement pour tenter de réguler leur impulsivité ou leur agitation intérieure. La dépression et les troubles anxieux augmentent aussi le risque, car les personnes concernées essaient souvent d’atténuer leurs émotions négatives ou leur anxiété sociale par la prise de substances. Les troubles de la personnalité, en particulier les troubles de la personnalité borderline, sont aussi fréquemment associés à une consommation problématique.

Comment pourrait-on améliorer la prévention des addictions chez les jeunes ?

Cette prévention devrait intervenir tôt et sur différents plans. Elle peut être améliorée par une sensibilisation précoce, la promotion des compétences de vie et le développement de facteurs protecteurs. Les jeunes devraient apprendre à gérer le stress et la pression des pairs, et pouvoir recourir à des alternatives saines comme le sport ou les activités créatives. En parallèle, les parents, les écoles et les communautés doivent travailler main dans la main pour communiquer ouvertement, montrer l’exemple et restreindre l’accès aux substances. Afin de produire un effet durable, les programmes de prévention doivent être faits sur mesure et reposer sur des bases scientifiques.

Existe-t-il suffisamment d’offres destinées aux jeunes ayant une consommation problématique de substances ?

Beaucoup de jeunes ne cherchent de l’aide que lorsque le problème est déjà très prononcé. Il existe déjà de bonnes approches permettant d’intervenir plus tôt, par exemple par le biais de centres de conseil spécialisés ou d’offres faciles d’accès comme les programmes en ligne. On constate toutefois des lacunes, notamment un manque de programmes de dépistage systématiques pour identifier précocement les jeunes à risque, ainsi que d’offres faciles d’accès et anonymes, plus faciles à utiliser pour ces personnes. Parmi les programmes existants, beaucoup ne sont pas suffisamment adaptés aux besoins individuels des jeunes, liés par exemple au milieu culturel ou aux comorbidités psychiatriques. En outre, on peut encore améliorer l’articulation entre l’aide à la jeunesse, les écoles et les systèmes de santé, afin de constituer un réseau de soutien pour les jeunes.

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